Pierre Arditi lit ce qu'il aime
Une chaise, une table et Pierre Arditi : le comédien donne trois grands cycles de lectures. Textes de Jean-Michel Ribes, puis de Yasmina Reza, et enfin de Philippe Delerm et de Michel Onfray.
Mise en ligne le 6 avril 2018 sur ventscontraires.net, la revue en ligne du Théâtre du Rond-Point
Rond-Point — Un texte goûteux, savoureux, qu’est-ce que c’est ?
Pierre Arditi — C’est tout un ensemble de données... Je veux par le texte pouvoir offrir une lecture iconoclaste, il faut que je sois moi-même touché, parfois bouleversé, que je puisse aussi en rire. Est-ce que la palette des sensations et des émotions que dégagent ces textes me parlent suffisamment ? Je vais à l’aventure de ce qui me touche, de ce qui me parle le plus. La thématique, au fond, curieusement, me laisse un peu indifférent... Ce n’est pas majeur. Je ne lirai pas des tracts ! Je lis des textes, littéraires, poétiques, ce sont des univers qui portent du sens. Mais quand
les auteurs sont bons, et ceux-là sont excellents, ils peuvent saisir une anecdote en apparence sans intérêt, et
en faire un chef d’œuvre. Un auteur mineur peut aussi s’emparer d’un thème majeur et ne produire qu’une broutille parce qu’il ne sait pas quoi en faire. La question n’est pas là. Qu’est-ce qu’on fait avec quoi ? Certains textes sont d’une apparente légèreté, mais il s’en dégage un bonheur intense de jouer avec les mots, avec la langue, la parole. Le fond est primordial, évidemment, mais ce n’est pas ce que je choisis en priorité. Ce qui prévaut sur tout, c’est le plaisir d’une langue, des mots, que je vais éprouver et partager avec le public.
Rond-Point — Mais cette langue, c’est quoi ? La musique ? Le rythme ?
Pierre Arditi — La musique, c’est la musique ! Laissons-la à la musique... Je me méfie beaucoup de la mélodie de la langue,
des sons, des rythmes. Certains acteurs se gargarisent d’un chant, ils chantent, et cette musique de la langue m’ennuie : ils pensent que les facéties de leur voix suffisent à dire et à faire quelque chose... La langue, avant tout, c’est le fond par ce qu’elle dit du monde et des autres, c’est le plaisir d’un voyage dans une architecture littéraire. Selon que je lirai Michel Onfray, Jean-Michel Ribes, Yasmina Reza ou Philippe Delerm, ma voix
changera, les intonations et les timbres seront différents. Mais ce ne sera pas volontaire. Ça tiendra à leurs mots, à leur langue. Je n’irai pas chercher moi-même un ton qui change, les modulations se feront d’elles-mêmes par la nature du matériau proposé...
Rond-Point — Sur scène, qu’allez-vous faire ?
Pierre Arditi — Je vais m’asseoir à une table, et je vais m’amuser avec les gens. C’est une lecture, elle est bien sûr incarnée, mais il s’agit bien d’une lecture... Je peux toujours faire le poirier, mais je ne suis pas sûr que cela intéresse
grand monde. Je garde un très bon souvenir de la lecture du texte de Jean-Claude Grumberg, "Une leçon de savoir vivre", dans la grande salle Renaud Barrault. J’espère retrouver la même puissance. Il n’y avait qu’une chaise, une table, et le bouquin. C’est cette force de la lecture que je cherche à retrouver, même si la tessiture sera plus diversifiée, plus caustique, plus acide, plus drôle, plus romantique ou plus bouleversante. Le texte, admirable, de Michel Onfray sur son père, est déchirant, il complète les facéties des passages choisis de Jean-Michel Ribes. Le tout compose des morceaux du monde qui m’interpellent, qui m’amusent, qui m’intéressent, qui m’intriguent. Je suis comme ma tante Denise : elle me faisait la lecture quand j’étais un petit garçon. Je serai ma tante Denise ! Je veux partager ce plaisir là avec les gens...
Propos texte recueillis par Pierre Notte
Propos vidéos recueillis par Jean-Daniel Magnin