Ça va la famille ?
– Pas vraiment.
Récemment j’ai croisé Jean-Michel Ribes, il m’a demandé ce que j’étais en train d’écrire. C’était « La Servante du Seigneur », un livre sur ma fille qui a rencontré un sacripant pas très catholique qui l’a entraînée dans une religiosité suspecte.
Jean –Michel m’a dit « C’est vrai toi t’as du matos. »
C’est vrai, ma famille m’a fourni du matos : un père alcoolique qui se suicide à table chaque dimanche : Il a jamais tué personne mon Papa.
Une mère hypocondriaque qui mourait toutes les semaines, mais qui a fini par mourir pour de vrai : La Mère est froide (en préparation).
Deux enfants handicapés pour de vrai à qui j’ai écrit Où on va papa ?
Une épouse charmante qui meurt subitement que j’ai ranimée dans Veuf.
Pas de quoi rire mais de quoi écrire…
J’ai, comme dit Cendrars, trempé ma plume dans ma vie.
Je suis devenu le greffier de ma famille, je leur ai élevé des monuments en papier. En les faisant entrer dans des livres, j’ai essayé de faire durer ce qui ne dure pas. Je n’ai pas eu à inventer des personnages pour peupler mes livres, ils m’ont été fournis.
Mon père était un héros de roman, livré clé en mains, il était alcoolique, médecin de campagne, il ne faisait pas payer ses clients, rentrait en voiture dans les troupeaux de moutons mais il a jamais écrasé le berger. Il mettait au bout de ses vieux souliers des caoutchoucs de bocaux pour refermer la semelle qui baillait.
Si j’avais eu un père comme les autres, expert comptable, qui ait des souliers brillants et qui boive de l’eau d’Evian… peut-être que j’aurais jamais eu envie d’écrire…