Eaux sales
Ça m’est revenu il y a quelques semaines après
une interview de Marine le Pen, à
cause de son âge, le même que moi, de son blue jean, le même que moi, à
cause de sa poignée de main, de l’hôtesse d’accueil qui m’a souri derrière l’hygiaphone, à
cause de Jeanne d’Arc dans son
armure pas tellement plus haute qu’un nain de jardin.…ça m’est revenu d’un coup.
C’était l’été 1991, j’étais journaliste
stagiaire, on m’avait envoyée à
l’université d’été des jeunes du Front national.
Ça se passait dans un petit château de Sologne, une ancienne propriété de l’empereur
Bokassa à ce qui se disait. Les grilles hautes et pointues étaient
entrouvertes, un petit homme ventru, aimable et souriant
m’avait accueillie: Roger
Holleindre ancien de l’Indochine
et des barbouzeries de l’Algérie française. Il m’a montré son bureau pour y poser mes affaires, et il a bien rigolé quand j’ai sorti
mon ordinateur portable barré d’un autocollant Libération.
– Leur montrez pas ça, ils vont vous mettre
dans le lac !
Le pire, c’est que je l’ai cru. Ils, c’étaient ses jeunes et ils était
en forme.
De la salle du
bas, les clameurs de la meute montaient.
Je suis descendue voir (sans ordinateur), c’était l’atelier "débat". Carl Lang chauffait un grand boutonneux assis en face de
lui : « Imagine que je suis Jack Lang , vas y
cogne ! ».
Collée au mur
dans le fond la pièce,
j’apercevais le lac par la fenêtre, une grande flaque d’eau saumâtre et
menaçante.
Je me rappelle le retour en fin d’après
midi, la Nationale 7 vers Paris, le pied à fond sur l’accélérateur. La fuite.
Tout ça m’est revenu comme un bon souvenir.
C’était bien mieux le temps où ils jouaient à nous faire
peur.